Nous sommes en 2004. Je viens d'arriver sur Toulouse en tant qu'étudiante. Je vis en chambre universitaire et en dehors des cours, je n'ai ni TV, ni ordinateur, ni radio. Je n'ai que mes livres. Livres que je viens de terminer. Je décide donc de me trouver de nouvelles occupations et m'inscris à la médiathèque de la ville. Dans cette médiathèque je découvre que je peux emprumpter des CD. Ayant envie de changement, de nouveauté, je pioche des CD au hasard sur l'étagère "metal" et "néo-medieval". Je découvre alors des trésors: Amon Amarth, cradle of filth, Falkenbach, Fintroll, Falchion, Qntal, et.. Dimmu Borgir. Pour ce dernier groupe, je ne peux pas dire que c'est vraiment du hasard car la pochette en elle même m'a attiré l'oeil. Un pentagramme renversé sur fond noir et aux allures métalliques. Je me presse de rentrer à la maison pour écouter sur mon petit "walkman CD" bidouillé à la Mac Gyver (élastiques en caoutchouc, scotch, cure dent -sisi!!) pour le brancher sur secteur, flanqué de deux mini baffles elles aussi raccordées au lecteur CD plus ou moins de la même façon, avec peut-être en prime un petit bout de pâte à fixe. J'insère donc le CD. Il saute. Le lecteur ne veut pas le lire. Je recommence mes manipulation jusqu'à ce qu'il marche. Et là...... Ce fut le coup de foudre.. Un coup de foudre pour une musique qui parlait de moi et qui m'a fait me demander comment j'avais pu trouver une saveur à cette vie sans cette épice irremplaçable et indispensable à mon existence. Vous savez, cette musique qui vous ouvre des portes sur vous même et sur le monde, cette musique qui pourrait sortir de vos entrailles si vous en aviez les moyens et les compétences. Cette musique qui est une partie de vous, tout simplement.
Les 6 années suivantes, ce groupe est resté en tête de liste dans mon Top 5 d'envoutement musical. Faute de les voir en concert étant donné le manque d'argent et d'occasions, je me délectais de leur musique passée et actuelle, des paroles, des interviews, des images tout en admirant cet être charismatique qu'est Stian Thoresen plus connu sous le pseudonyme de "Shagrath". Je voulais comprendre leur monde, comprendre pourquoi leur musique me touchait autant. Je dessinais sans cesse ce visage manichéen dans lequel je trouvais douceur et colère. Un visage d'ange pour un coeur démoniaque. J'admirais cette image extérieure qui retranscrivais ce que j'avais moi même à l'intérieur.
Ce n'est qu'en début d'été 2010 que j'ai appris qu'ils jouaient à Paris pour une trentaine d'euros. J'avais attendu trop longtemps, c'était le moment pour moi de me lancer et d'enfin fusionner rêve et réalité. Sans penser à ma situation financière qui était désastreuse, je me suis démenée pour me procurer une place de concert et des billets de train. J'avais tout en poche, le plus dur allait donc arriver: l'attente.
Nous sommes le 19 septembre 2010. Je prends le train pour Paris avec l'intention d'y rester une semaine entière pour profiter au passage de ma petite famille. Je suis impatiente, la boule au ventre. Tout doit se passer comme dans mes rêves, comme dans ma tête.. J'ai peur de perdre mon billet de concert, de ne pas être devant, de faire un malaise dans la fosse comme je l'avais fait pour un autre groupe à cause de la chaleur, de la foule.. Non, tout doit se passer comme il le faut, je n'ai pas le droit à l'erreur. 6 ans que j'attends ce concert.
Nous sommes le 22 septembre, je n'ai rêvé que du concert toute la nuit. Je me réveille la boule au ventre, l'impatience est à son comble. Je ne vais pas pouvoir attendre une journée entière. Je dois rejoindre un être cher à 18h30 devant le Bataclan. Je tourne en rond, tente de m'occuper l'esprit. Je vais je viens. Puis vient l'heure de partir. Je n'ai cessé de souffler pour évacuer la tension. Ma soeur me regarde avec un air amusé. Je m'en vais tremblotante, la boule au ventre de plus en plus lourde. Ma respiration se fait courte. Je prends les transports en commun et ai envie de crier aux gens assis et paisible que je vais vivre un moment inoubliable. Dans ma tête je sautille et cours et ris nerveusement. Mais je reste impassible je crois sur mon siège à regarder les stations de métro défiler. Oberkampf. J'y suis!.. On souffle iOneska on souffle.. Après avoir fait trois tours sur moi même à la sortie du métro pour trouver le Bataclan, je le vois au loin et ne voit qu'une toute petite queue de rien du tout. Tous vêtus de noir, cheveux longs, barbus, tatoués, piercés. Je me sens un peu fifille au milieu de toute cette testostérone mais je prends ma place dans la queue. Les gens ont l'air si sereins. Je ne les comprends pas. Ils discutent tous entre eux, boivent une bière en attendant. Fument. Moi je tripote mon portable nerveusement. Coup de téléphone à Matt qui n'est pas là. Il va avoir du retard. D'un coup la file d'attente avance doucement.. Certainement. Il est 18h30 et le concert commence dans 1h. Nous rentrons. Je tremblote des jambes. Je coupe le chemin d'un gars qui avait l'air très cool et qui ne se préoccupait sans doute pas autant que moi de sa place du devant. Je fonce plus ou moins à la barrière et me retrouve à la deuxième ligne au niveau de la scène. Je me dis que j'arriverai à me faufiler pendant le concert.
19h. Des gars arrivent sur scène en faisant coucou à la foule. Ils ont des guitares et semblent décidés à jouer. La musique de fond s'arrête et ils commencent à jouer. Je me demande qui c'est. Je me dis que c'est sans doute Sagh comme c'était prévu mais il n'est que 19h. J'encourage, j'applaudis, ce n'est pas mal mais ce n'est pas non plus transcendant.
19h30, de nombreux photographes arrivent avec un matériel de malade. Je suis toujours au deuxième rang. Le monde arrive, les gens poussent, la foule acclame. Je me dis normalement Enslaved doit jouer en première partie. Mais pourquoi toute cette excitation? C'est au tour de Dimmu? Je vois alors le petit synthé, je me dis que ça ne doit pas être Dimmu et pendant ce temps, de gros chevelus torse nu, barbus et tatoués rentrent sur scène pour entamer leur premier morceau. C'est effectivement Enslaved. La fosse est mouvante, je m'accroche comme je peux d'une main à la barrière mais c'est encore supportable. J'aime beaucoup ce groupe mais je trouve qu'ils enchaînent un peu trop de morceaux
L'attente est interminable. J'attends impatiemment qu'ils disent au revoir pour laisser la place à Dimmu. Je sais que je vais le regretter car Enslaved est un sacré bon groupe comme je les aime. Mais je pense que je retournerai les voir, mais que pour eux. La scène n'était pas la leur et tout était encombré par de gros blocs sous des draps noirs. Il parait que leur show est assez bon. Je reviendrai oui. Arrive le moment donc où ils quittent la scène. Je retrouve Matt enfin qui est deux ou trois rangées derrière moi. je lui fais signe de venir mais il y a ses potes avec lui alors je lui fais comprendre que j'ai une bonne place et que ça ferait chier de reculer pour me manger des pogos et me retrouver tout au fond ou éjectée sur le côté. Il comprend parfaitement et je me retourne et admire la scène se transformer. Les draps noirs se soulèvent et on peut voir la batterie immense en plein centre et un piano de fou à droite. Tout on fond nous pouvons voir la pochette du nouvel album Abrahadabra. Des runes énigmatiques noires sur fond blanc sont posées sur le devant de la scène, des croix renversées, cornes, crânes nous donnent le ton du concert qui est maintenant éminent. Je suis en sueur. La chaleur est moite, la tension est à son comble pour la fosse, ça sent les t-shirts sales, la transpiration, la bière, les cheveux lol.. mais je m'accroche à mon appareil photo et à la barrière. Le décors est planté la lumière s'éteint.
Je dois avoir les yeux écarquillés, je cherche tout ce que je peux trouver de vivant sur scène. Xbir, issu du nouvel album, se fait entendre en introduction. Les lumières sont bleues, froides et puissantes. Les membres de Dimmu Borgir arrivent un par un sur scène. Je suis folle mais hypnotisée par ce que je suis en train de voir. Les gens hurlent autour de moi, la foule se sert contre moi, je n'ai plus d'air pour respirer, des bras se lèvent je ne vois plus rien, je sens que je vais me sentir mal, j'essaye de prendre de l'air en levant la tête et en levant la tête je vois entre deux bras Shagrath sur le devant de la scène. Je crois que je vais mourir d'asphyxie tant les gens sont concentrés et me gênent pour respirer. Je trouve le moyen tout de même de crier quand je le vois, dans ma tête ça fait: "c'est pas vrai putain c'est pas vrai, c'est réel ou je rêve..?? je me sens mal je vais tomber faut pas que je tombe faut pas que je flanche, 6 ans que tu attends ça putain non faut pas, ça va passer" et c'est passé... J'ai tenté de profiter de capturer ce que je voyais pour me rappeler que ce que je vivais était réel. Lorsqu'ils ont commencé à jouer Spellbound By the Devil, je me suis lâchée et j'ai sauté, crié, chanté en brandissant les cornes dans leur direction. Alors que la chaleur atteint environ les 50°, nous sommes tous en nage, rouges écarlates mais peu importe, le concert est grandiose, au moins autant que je me l'étais imaginé pendant ces 6 années. Puis à un moment, Shagrath s'avance de mon côté puis fixe droit devant lui avec son regard assez particulier.. Je le regarde complètement envoutée et son regard croise le mien et il ne baisse pas le regard. J'ai bloqué peut-être 3 secondes avant de baisser le regard, génée. Pendant que je m'occupais de mes frissons et de mes papillons dans le ventre, il était déjà retourné sur le devant de la scène, un peu plus à ma droite. Pendant la durée du concert, on a tenté de me virer un peu derrière mais j'ai joué des coudes et des pieds et ne me suis pas laissée faire, j'avais attendu ce moment si longtemps que c'est pas un chevelu hystérique qui allait me gâcher mon rêve.
Tout le long du concert je me demandais comment je pouvais tenir par cette chaleur étouffante tandis que Galder, le guitariste nous arrosait en prenant de l'eau dans sa bouche et en nous aspergeant en crachant. Peu importe, j'ai eu de l'eau de la bouche de Galder dans les cheveux et sur le visage, c'était à la fois dégoutant pour quelqu'un comme moi qui suis très chiante niveau bave lol, mais c'était aussi un contact direct qui le ramenait à la réalité, comme si Galder était là pour me rappeler que je ne vivais pas un rêve.
Musicalement, je n'ai pu apprécier réellement qu'en regardant des vidéos puisque tout devant je dois dire qu'on entendait beaucoup la batterie et les basses. Mais ressentir les notes de Progenies of the great appocalypse ou Mourning Palace ou encore Born Treacherous était limite orgasmique.
Nous sommes aujourd'hui 5 jours plus tard et je n'en suis pas remise. Je n'arrive pas, même en regardant mes photos et vidéos, à me dire que mon rêve est entré dans ma réalité...
